Dimitrios Konstantinou et Konstantinos Athanasiou, pionniers de la photographie en Grèce

Dimitrios Konstantinou (actif à Athènes entre 1858-1870) et Konstantinos Athanasiou (Constantinople 1845 – Athènes 1898) sont les deux auteurs des photographies de cet album. Les prises de vue furent réalisées entre les années 1865 et 1880. Les épreuves, en ce qui concerne les plus anciennes, sont effectuées vers les années 1880 par Athanasiou qui était le successeur de Konstantinou. Aucune photographie n’est signée mais, sur presque toutes, Athanasiou a gravé dans la plaque un numéro qui devient visible sur les tirages. Ce numéro de classement permettait au photographe de répertorier les différents monuments et sujets. Nous connaissons plusieurs de ces photographies par des tirages plus anciens réalisés par Konstantinou, qui n'ont pas de numéro de classement (fig. 1).

Toutes les photographies individuelles, sauf les panoramas du Pirée et d’Athènes, ont été réalisées avec un appareil photographique de grand format qui utilisait des plaques au collodion d’un format 28 x 38 cm. Cet appareil qui appartenait à Dimitrios Konstantinou a été légué à Konstantinos Athanasiou avec un grand nombre de ses plaques au moment de la succession vers 1870-1875.

De grand talent, Dimitrios Konstantinou fait partie des pionniers de la photographie grecque. Malheureusement, nous n’avons pas d'informations biographiques sur lui. Il opérait principalement à Athènes ; ses premiers tirages signés sont antérieurs à 1860 : D. Constantine, Athéne (sic) (fig. 2).

Sa signature fine et artistique se modifie juste après 1860 pour devenir un peu plus littéraire : D. Costantin à Athénes (sic) (fig. 3).

Certains tirages d’une qualité moyenne avec des traces des rayures sur la plaque et avec la signature :
D. CONSTANTIN ont été effectués par Athanasiou (fig. 4).

Cette signature intégrée atteste la volonté d’Athanasiou de nommer l'auteur de la photographie, afin d'éviter qu'on lui en attribue la paternité. D'ailleurs, aucun de ses tirages effectués d’après les plaques de Konstantinou ne montre une quelconque volonté de tromper. L’habitude de se faire passer pour l'auteur d'une photographie était pourtant assez courante au xixe siècle parmi les photographes professionnels, en Grèce ou ailleurs. Chronologiquement, Dimitrios Konstantinou est le deuxième photographe grec après Philippos Margaritis (1810-1892). Il a travaillé pour la Société archéologique grecque, en lui fournissant des photographies des différents monuments de la Grèce de l’époque, c'est-à-dire des vestiges de l'Attique, du Péloponnèse ainsi que de l’île de Corfou. Il a participé avec ses belles épreuves à l’Exposition universelle de Londres en 1862 (fig. 5).


Les voyageurs achetaient des photographies en souvenir de leur visite auprès des photographes professionnels installés à Athènes. En rentrant dans leurs pays, ils demandaient à des relieurs de leur constituer des albums à partir des photographies achetées et d’y ajouter parfois leurs propres photographies. Athanasiou avait ouvert un atelier dans la rue Hermès, lieu central de la ville d’Athènes. Les différents guides de voyage mentionnaient les adresses des ateliers des photographes locaux afin que les touristes puissent les trouver facilement. Dans le guide Joanne de 1880 (Grèce, Athènes et les environs) nous lisons dans le chapitre « Photographies » : « Les photographies d’Athènes sont loin d’être aussi bon marché qu’en Italie : nous ne saurions pourtant trop recommander d’inscrire à ce chapitre une assez forte somme sur le budget du voyage. Il n’existe pas encore de dépôt de photographies grecques en France et c’est sur les lieux mêmes qu’il faut faire son choix, pour achever de fixer ses souvenirs. Konstantinos Athanasiou, rue Hermès, no 3 (l’entrée est rue de Niké), a jusqu’à présent la collection la plus complète de photographies de monuments antiques, de statues, de bas-reliefs, de costumes. Malheureusement ces clichés sont très anciens, et nombre de monuments aujourd’hui dégagés, n’ont plus le même aspect qu’ils avaient à l’époque où ils ont été photographiés. »

Le reproche qu'on a pu faire au fonds photographique d’Athanasiou est d’avoir été composé de photographies montrant des monuments photographiés à une époque antérieure à celle visitée par les touristes. Cette remarque prouve qu'Athanasiou a bien effectué des tirages d’après les plaques de son maître Konstantinou. Avec les photographies de Konstantinou, Athanasiou avait une photothèque sur l’art grec plus riche que ses concurrents, les frères Rhomaides, qui avaient eux aussi un atelier mentionné dans ce même guide de voyage. Afin d’adapter ses clichés et notamment ceux de Konstantinou qui étaient les plus anciens, Athanasiou n’a pas hésité dans certains cas à masquer, sur l’émulsion de la plaque, les éléments qui avaient été modifiés par les archéologues au fur et à mesure de la poursuite des fouilles. L’exemple le plus marquant est la supression sur la plaque, à l’aide d’un vernis noir, de la tour franque qui sera démolie en 1876. Nous voyons que la tour est visible sur le tirage effectué par Dimitrios Konstantinou, l’année de la prise de vue en 1865.

Cette tour était étrangère au monument antique de l’Acropole puisqu'elle avait été érigée au xiie siècle par les Francs de la quatrième croisade pour le palais du duc Othon de la Roche, afin de contrôler toute la région d’Attique. Les archéologues français de l’École française d’Athènes et leurs homologues grecs avaient décidé sa démolition afin de dégager les Propylées de l’Acropole. Sur le tirage figurant dans cet album et réalisé par Athanasiou vers 1880 (AP16245), celui-ci a effacé la tour en appliquant un vernis noir sur la plaque. Sur le tirage de Konstantinou, daté de l’année de la prise de vue, vers 1865, la tour est bien visible (fig. 6).

L’album « grec » conservé au musée national des arts asiatiques-Guimet est constitué de 30 photographies d’un grand format, d'environ 27 x 37 cm, et de deux panoramas, un du port du Pirée et un autre de la ville et de l’Acropole d’Athènes. Il est constitué comme l’itinéraire d’un voyage imaginaire en Grèce, avec l’arrivée au port du Pirée, la visite des monuments et de la ville d’Athènes et, bien sûr, de l’Acropole. Le voyage se poursuit avec des sites archéologiques du Péloponnèse. Cette thématique et cet itinéraire étaient très habituels dans les albums de cette période des années 1880.

À partir de ces années là, de nouveaux sites archéologiques seront dégagés par les différentes missions archéologiques : celui d’Olympie (1875-1881) par l’Institut archéologique allemand, et un peu plus tard celui de Delphes (1893-1902) par l’École française d’Athènes. L’absence du site d’Olympie de cet album de photographies nous pousse à croire que le voyageur n’a pas visité ce site pendant son voyage dans le Péloponnèse. Par ailleurs, Konstantinos Athanasiou n’a pas eu l’occasion de photographier les fouilles d’Olympie, puisque l’Institut archéologique allemand avait engagé comme photographes des fouilles les frères Rhomaides (Konstantinos et Aristotélis), l’atelier concurrent de celui d’Athanasiou.

Cet album a été vraisemblablement constitué et relié à Paris. Le voyageur, durant son voyage en Grèce, a acheté des grandes épreuves auprès de l’atelier du photographe Athanasiou. La grande originalité de cet album est justement le grand format des tirages avec lesquels il a été constitué. À cette époque, les photographes professionnels avaient tendance, pour des raisons pratiques mais aussi économiques, à réduire leurs formats.

Certaines planches de l’album ayant été coupées à une date postérieure, nous remarquons l’absence de photographies montrant des monuments très connus, et la présence d'un grand nombre de monuments d’Athènes, comme le monument de Philopappos ou l’église de la Petite Métropole (fig. 7 et 8).

Haris Yiakoumis
Historien

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