Grèce, album de photographies


La présence de cet album de photographies anciennes sur la Grèce dans le fonds des archives photographiques du Musée national des arts asiatiques – Guimet peut paraître incongrue si l’on se réfère à la notoriété que l’institution a acquise depuis plus d’un siècle dans le domaine des arts de l’Asie. Mais il est nécessaire de rappeler que, à ses débuts, le musée était consacré aux religions, à toutes les religions. Dans le rapport qu’il communiqua au ministère de l’Instruction publique en 1877, Émile Guimet, le fondateur du musée, officialisait sa volonté de rassembler tous les dieux de l’Inde, de la Chine, du Japon, de l’Égypte, de la Grèce et de l’Empire romain [1]. L’institution qu’il créa avait pour vocation d’être un centre de recherche et de formation sur les religions à l’usage des chercheurs. C’est dans ce dessein qu’il rassembla une importante collection d’objets et qu’il constitua une aussi riche bibliothèque. Entraîné dans cette dynamique, il n’est pas exclu que cet album, composé en partie de photographies d’architectures religieuses vouées aux dieux de la mythologie grecque, ait également suscité l’intérêt d’Émile Guimet. En 1945, au moment du chassé-croisé entre les collections asiatiques du musée du Louvre partant à Guimet et inversement, des collections moyen-orientales du musée Guimet partant au Louvre, il aurait été laissé sur place.

Cet album sur la Grèce des années 1865 à 1892 est composé de quarante trois belles épreuves à l’albumine sur papier, d’après des négatifs au collodion sur plaque de verre, dont douze sont montées en deux panoramas distincts, de grandes dimensions, composés chacun de six photographies. S’il ne porte ni titre, ni aucune autre indication, une légende succincte en français a été inscrite à l’encre noire en dessous de chaque tirage. Les dates des prises de vues ont été déterminées avec assez de précision, ce qui n’est pas le cas des épreuves positives qui peuvent être contemporaines de la prise de vue comme postérieures à celle-ci. Des deux photographes identifiés, Dimitrios Konstantinou et Konstantinos Athanasiou, l’un fut l’assistant de l’autre et a continué à exploiter indifféremment les négatifs de son maître, en plus des siens, bien après la mort de ce dernier.

Les photographies concernent, à partie presque égale, Athènes et le Pirée, montées en deux panoramas distincts, et plus à l’ouest, différents sites ou villes du Péloponnèse. Quelques personnages, qui ne sont pas le sujet principal de la photographie, posent en costume de ville avec chapeau (AP16249), en uniforme (AP16252), en habits ordinaires de manœuvre ou de paysan (AP16253, AP16264) ou encore en costume traditionnel du Péloponnèse (AP16264, AP16274). Les vues d’architectures et de paysages urbains dominent, donnant à cet ensemble un caractère minéral et une grande rigueur formelle, tempérée ponctuellement par les courbes et contre-courbes de quelques collines environnantes. L’aspect épuré qui s’en dégage est renforcé par le rendu du ciel, uniformément blanc. Il a pour origine la surexposition du négatif dont l’émulsion, à cette époque, ne pouvait pas prendre en compte une aussi importante différence d’intensité lumineuse entre le ciel et le sol. Si le photographe souhaitait avoir un rendu détaillé de son sujet, en règle générale plus sombre que le ciel, il était contraint de choisir un temps de pose plus long que celui nécessaire à l’exposition du ciel. Le négatif recevait donc en lieu et place de l’image du ciel une intensité de lumière beaucoup trop importante, traduite en une plage d’un noir extrêmement dense, impénétrable aux rayons lumineux lors du tirage de l’épreuve positive, d’où cet aplat d’un blanc uniforme. Certains photographes contournaient du reste cette difficulté en photographiant séparément l’un et l’autre – en deux prises de vues distinctes, sur deux plaques de verre séparées avec deux temps de pose différents –, qu’ils associaient ensuite au moment du tirage de l’épreuve positive comme un photomontage.

La technique au collodion, utilisée lors de la prise de vue, a été en usage à partir de 1851 et jusque dans les années 1880, puis fut progressivement remplacée par les procédés à la gélatine. Le collodion est un liant à base de nitrate de cellulose dissous dans un mélange d’éther et d’alcool, que l’on étend sur une plaque de verre avant sa sensibilisation au nitrate d’argent. L’égalité de la surface du support, sa stabilité dimensionnelle, permet l’enduction d’une fine couche photosensible, pour ainsi dire sans défaut de planéité, et la réalisation de négatifs d’une grande richesse de détails. Leur restitution sur papier se fait avec un minimum de déperdition, grâce à la transparence du verre et aux qualités de l’albumine utilisée pour les épreuves positives. Cette substance, en usage de 1851 à 1900 environ, est basée sur l’emploi des propriétés du blanc d’œuf comme matière d’enduction des papiers afin d’isoler l’image argentique du support. L’uniformisation de la surface qui s’ensuit permet une bonne restitution des détails du négatif et offre au spectateur une grande richesse de tonalités chaudes dans les basses comme dans les hautes lumières. Lorsque l’on regarde une épreuve à l’albumine, les rayons de lumière incidents, ceux qui l’éclairent, pénètrent à l’intérieur de cette couche transparente, lisse et brillante, se réfléchissent sur le support, généralement blanc, se diffusent dans l’albumine et parviennent à l’œil du spectateur chargés d’une intensité lumineuse accrue. Les ombres éclairées de l’intérieur, donnent cette orchestration en profondeur des teintes qui n’est pas sans rappeler celle des glacis des maîtres de la peinture à l’huile, car elle est souvent le résultat d’une superposition de plusieurs couches d’albumine incolore au moment de l’enduction du papier.

Les numéros d’inventaire de chaque photographie suivent le sens de lecture de l’album. Plusieurs onglets (languettes de papier servant à fixer les pages à l’intérieur du dos de la reliure) de deux épaisseurs différentes n’ont pas été utilisés [2] ce qui pourrait indiquer qu’il s’agit d’une reliure modulable, prête à recevoir au maximum une centaine de pages, en fonction de l’épaisseur de celles-ci, et non d’une reliure faite sur mesure. Par ailleurs, quatre pages [3] ont été évidées de leur photographie.

Restauré et reconditionné dans une boîte appropriée en 2003, inventorié en 2009 et numérisé en 2011, cet album, conservé au département Photographie du Musée national des arts asiatiques – Guimet, est dans un très bon état de conservation.

[1] D'outremer et d'Orient mystique : les itinéraires d'Émile Guimet / sous la dir. de Françoise Chappuis et de Francis Macouin ; Keiko Omoto, Bruno Levy-Rueff ...[et al.], préface de Jean-François Jarrige. Sully-la-Tour : Ed. Findakly, 2001. p.113. (BnF, notice FRBNF37628836 : Paris pour le lieu d’édition.)

[2] Six entre AP16244 et AP16245, cinq entre AP16245 et AP16246, six entre AP16247 et AP16248, six entre AP16249 et AP16250, six entre AP16250 et AP16251, six entre AP16252 et AP16253, cinq entre AP16254 et AP16255, six entre AP16255 et AP16256, cinq entre AP16257 et AP16258, six entre AP16258 et AP16259, cinq entre AP16259 et AP16260, six entre AP16260 et AP16261, quatre entre AP16262 et AP16263, quatre entre AP16263 et AP16264, quatre entre AP16265 et AP16266, quatre entre AP16266 et AP16267, quatre entre AP16267 et AP16268, cinq entre AP16268 et AP16269, six entre AP16270 et AP16271, cinq entre AP16272 et AP16273, six entre AP16273 et AP16274 et trois entre AP16274 et AP16275.

[3] Une entre AP16250 et AP16251, une entre AP162758et AP16259, une entre AP16266 et AP16267 et une entre AP16274 et AP16275.



Jérôme Ghesquière
Chef du département Photographie
Musée national des arts asiatiques – Guimet